Bitcoins : le gouvernement peut-il saisir vos cryptomonnaies ?

Un chiffre sec : 194 millions d’euros. C’est, fin 2024, la valeur totale des cryptomonnaies saisies en France. Ce montant n’est pas sorti d’un roman, il provient des rapports officiels. Depuis 2019, la France ne se contente plus d’observer le marché crypto : elle agit, elle encadre, elle saisit. Les actifs numériques, Bitcoin, Ethereum et consorts, ne bénéficient d’aucun traitement de faveur. Pas d’exception, pas de niche inaccessible : la loi permet leur gel, leur transfert, leur confiscation. Les plateformes d’échange l’ont appris à leurs dépens. Certaines ont déjà dû geler des portefeuilles, puis en transférer la propriété, sur simple décision judiciaire. Mais dès que les actifs sont stockés hors des sentiers balisés, dans un wallet privé, sur une clé physique ou un bout de papier, la mécanique de la saisie se grippe. L’État a beau vouloir, il doit alors composer avec une technologie pensée pour l’autonomie, voire l’opacité.

Pourquoi la saisie des cryptomonnaies suscite autant de questions en France

La possibilité de saisir des cryptomonnaies en France fascine et inquiète tout à la fois. Ce n’est plus une idée théorique : la machine étatique fonctionne déjà. Plus de 300 actifs numériques ont changé de main sous la contrainte, preuve que le sujet est tout sauf marginal. Pas une grande crypto n’échappe à la surveillance : Bitcoin, Ethereum, Monero, Litecoin… La Cour des comptes évalue à plusieurs millions le nombre de Français impliqués, particuliers et professionnels confondus. La démocratisation du secteur fait voler en éclats l’idée d’un Far West numérique, hors d’atteinte des filets institutionnels.

À quoi tient ce malaise ? La réponse tient à la nature même des crypto-actifs. Par définition, ils sont décentralisés, parfois anonymes, souvent pseudonymes. Impossible, donc, de les manipuler comme un compte bancaire classique. L’administration fiscale, les créanciers, la justice : tous butent sur cette frontière mouvante entre détention légale et confiscation potentielle. Les investisseurs, eux, voient cette porosité croissante avec un mélange de méfiance et de fatalisme. Même les institutionnels français figurent aujourd’hui parmi les plus grands détenteurs mondiaux de cryptomonnaies. La régulation évolue vite, à l’image d’un marché en perpétuelle mutation. Désormais, la vraie question n’est plus de savoir si l’État peut saisir, mais comment il s’y prend concrètement. Les outils techniques, les procédures juridiques, tout bouge à mesure que l’innovation avance.

Le droit a rattrapé la technologie. En France, la Loi Pacte, le règlement MiCA et les directives européennes ont renforcé la structure de contrôle. La Loi Pacte, en créant le statut de PSAN (prestataire de services sur actifs numériques) sous la supervision de l’AMF, impose aux plateformes françaises une collaboration sans faille avec les autorités. Résultat : toute crypto détenue chez un PSAN peut être gelée, puis transférée, sur simple décision de justice. Le Code des procédures civiles d’exécution autorise déjà la saisie des biens incorporels. Les actifs numériques sont expressément concernés.

La fiscalité n’est pas en reste. Les plus-values issues de la vente de cryptomonnaies tombent sous le coup d’un prélèvement forfaitaire unique à 30 %. Ce n’est qu’au moment de la cession que l’imposition intervient : la simple détention n’est pas taxée. Mais gare aux comptes étrangers : la déclaration via les formulaires 3916 et 3916bis reste obligatoire, sous peine de sanctions. À l’horizon 2026, le dispositif DAC8 et le standard CARF imposeront aux plateformes une transmission automatique des opérations et soldes à l’administration fiscale. Le règlement MiCA, quant à lui, harmonise dès décembre 2024 la supervision des CASP (crypto-asset service providers) dans toute l’Union européenne, avec un accent particulier sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La gestion des cryptomonnaies saisies relève de l’AGRASC, un organisme public chargé d’en organiser la conservation et, le cas échéant, la vente aux enchères. En quelques années, l’écosystème crypto est passé d’une quasi-absence de règles à un encadrement drastique, sous le regard attentif de la Commission européenne et de l’AMF.

Créanciers, justice et plateformes : qui peut techniquement accéder à vos bitcoins ?

La saisie de cryptomonnaies s’appuie sur une mécanique bien huilée, familière des acteurs du recouvrement. Tout dépend, en réalité, du mode de stockage. Un hot wallet hébergé sur une plateforme régulée, comme Coinbase ou Paymium, s’expose sans filtre à la saisie administrative à tiers détenteur (SATD). L’administration adresse l’ordre à la plateforme, celle-ci bloque les fonds et les transfère sur demande. L’utilisateur n’a alors aucun moyen de s’y opposer.

Le scénario change radicalement dès lors que les bitcoins dorment sur un cold wallet, un hardware wallet ou un paper wallet. La clé privée reste alors à l’abri des regards extérieurs. La justice peut toujours ordonner la saisie, mais sa réussite repose sur la capacité des huissiers à mettre la main sur la fameuse clé. La self-custody ne rend pas la saisie irréalisable, mais elle la complique sérieusement. Si la clé privée est accessible, volontairement ou sous contrainte, l’affaire change de dimension.

Pour clarifier les rôles, voici les acteurs clés impliqués dans la saisie de crypto-actifs :

  • Créanciers : qu’il s’agisse du fisc, d’organismes sociaux, ou d’une entreprise munie d’un titre exécutoire, ils peuvent initier la procédure.
  • Huissiers de justice : ils assurent l’exécution matérielle de la saisie, notamment la recherche et la saisie des clés d’accès.
  • Plateformes PSAN/CASP : elles conservent les cryptomonnaies pour leurs clients et doivent, en vertu de la réglementation, coopérer avec les autorités.

Stocker ses cryptos sur une plateforme régulée en France, c’est accepter de s’exposer à une saisie accélérée. La coopération entre les intermédiaires et les autorités ne laisse guère de marge. En revanche, le cold wallet offre un rempart, relatif, grâce à la difficulté d’accès à la clé privée. Mais le droit ne distingue pas : tout actif numérique identifié peut être saisi, quelle que soit la méthode de stockage.

Ce que l’on risque (ou pas) si le gouvernement décide de saisir des cryptomonnaies

Les chiffres le prouvent : la saisie de bitcoins n’est plus une fiction administrative. Plus de 300 actifs numériques, d’une valeur totale de 194 millions d’euros, ont déjà été confisqués en France, selon les chiffres de l’AGRASC. Ces cryptomonnaies ne dorment pas dans des coffres virtuels : elles sont revendues aux enchères, la presse spécialisée relaye ces ventes qui font parfois sensation.

Le risque varie fortement selon la façon de conserver ses cryptos. Les avoir sur une plateforme régulée, c’est courir le risque d’une saisie rapide et sans détour. À la moindre injonction, la plateforme bloque puis transfère les actifs concernés. Opter pour la self-custody, sur wallet physique ou papier, ralentit significativement les opérations, mais ne les rend pas impossibles. Dès lors que l’État parvient à relier une identité à un wallet, la saisie reste juridiquement possible. Le débiteur conserve malgré tout un recours : il peut solliciter, par l’intermédiaire de son avocat, la mainlevée de la saisie devant le juge de l’exécution. Dans certains cas, la France pourrait conserver une partie des crypto-actifs récupérés, à l’image des réserves d’or détenues par la Banque de France. Tout se joue alors sur la réactivité des autorités et la capacité du détenteur à dissimuler efficacement ses avoirs.

La réalité, c’est qu’aux yeux de l’État, le bitcoin a quitté la marge : il est désormais traité comme n’importe quel actif saisissable. Le temps où la crypto échappait à tout contrôle est bel et bien révolu. Reste à savoir, pour chaque investisseur, s’il veut jouer la sécurité réglementaire ou miser sur l’autonomie technologique. Le choix n’a jamais été aussi clair, ni aussi exposé.